Les métaux rares
- lookense3
- 4 nov. 2020
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Si le XIXe siècle a été celui du charbon et le XXe siècle celui du pétrole, le siècle qui s’ouvre devant nous sera assurément celui des métaux rares. Ces métaux, aux noms parfois originaux (antimoine, germanium, europium, lutécium, …), emplissent une partie du tableau périodique des éléments – mais également de nombreux produits de notre quotidien. En effet, les capacités de nos téléphones et ordinateurs portables, batteries, voitures électriques, avions, éoliennes et panneaux photovoltaïques reposent majoritairement sur les propriétés physiques des métaux rares. Grâce à eux, un monde décarboné, numérique et largement dématérialisé, hautement technologique et « vert » s’offre à nous. Néanmoins, comme tout produit du sous-sol, les métaux n’échappent pas aux écueils inévitables que représentent la finitude des réserves mondiales, le coût en énergie et ressources de leur extraction et les tensions géopolitiques dues à leur inégale répartition dans la croûte terrestre.
Les métaux dits « rares » sont nommés ainsi car leur présence représente une infime fraction (de l’ordre de 10^-4 % et moins) de la lithosphère. Cette faible prédominance de ces éléments fait donc logiquement peser une contrainte sur leur approvisionnement et fait craindre à terme, une pénurie généralisée pour certains d’entre eux. Cette tendance sera renforcée par le besoin croissant de ces métaux rares dans le cadre de la transition énergétique et numérique. Par exemple, le rotor d’une éolienne nécessite l’usage d’aimants dits « permanents » en néodyme (présent en quantité 1200 fois moindre que le minerai de fer sous nos pieds), les panneaux photovoltaïques « à couches minces » de cuivre, d’indium et de gallium, tandis qu’une voiture électrique contient jusqu’à 11 kilogrammes de terres rares (une sous-classe des métaux rares) pour sa batterie, ses phares, son électronique de bord … Ainsi, au rythme actuel de production, ce ne sont pas moins de quinze métaux rares qui seront épuisés d’ici cinquante ans.
Cet appétit de nos économies actuelles pour les métaux rares n’est pourtant pas neutre d’un point de vue environnemental. Leur extraction nécessite des excavatrices, fonctionnant aux énergies fossiles, permettant de charrier des quantités énormes de roches, qui n’offriront qu’une quantité minime des précieux métaux rares. A titre d’illustration, l’obtention d’un kilogramme de cérium nécessite l’excavation de seize tonnes de roches, tandis que la production d’un unique kilogramme de néodyme requiert 108 kWh d’énergie. Le raffinage de ces métaux nécessite ensuite des quantités importantes d’eau (jusqu’à 200 m³ d’eau pour une tonne de métal) et de produits chimiques hautement toxiques, principalement de l’acide sulfurique et nitrique.
C’est cette pollution qui a décidé, dans les années 1990, les pays Occidentaux à délocaliser la production et le raffinage des métaux rares vers des pays moins regardant sur les conséquences environnementales – la Chine en particulier. La France, grâce à son fleuron industriel Rhône-Poulenc, purifiait 50 % de la production mondiale de terres rares dans les années 1980. Si cette délocalisation de la production (et de facto de la pollution associée) s’est révélée désastreuse pour les écosystèmes chinois – dans la province de Mongolie-Intérieure, centre mondial de l’extraction de terres rares, de nombreux villages sont surnommés « village-cancer » du fait du déversement systématique des produits chimiques dans les nappes phréatiques et cours d’eau locaux –, elle a permis à la Chine de faire main basse sur la production mondiale. L’Empire du Milieu produit aujourd’hui 95 % des terres rares au niveau mondial, rendant ainsi le reste du monde dépendant de ses exportations. Cet état de fait n’est pas sans provoquer quelques manœuvres géopolitiques : en 2010, la Chine a mis en place un embargo informel en terres rares sur le Japon suite à des tensions territoriales autour d’un archipel de la Mer de Chine, asphyxiant ainsi l’industrie électronique nippone. De plus, ce monopole chinois risque de mettre en péril les souverainetés militaires des différentes nations du monde. En effet, tout l’arsenal technologique des armées repose sur l’utilisation de terres rares. Un exemple marquant est celui des fameux avions de combat F-35 états-uniens, dont les aimants permanents sont fournis par le groupe chinois ChengDu Magnetic Material Science and Technology.
Les métaux rares sont vitaux au développement des green techs (infrastructures énergétiques mais également numériques, comme par exemple les smart cities bardées de capteurs remplis de métaux rares) au cœur des investissements de l’Union Européenne notamment. Il n’est toutefois pas certain que les réserves connues actuelles puissent alimenter une croissance des besoins galopante et permettent d’assurer une indépendance économique et stratégique vis-à-vis de la Chine. Enfin, il est légitime de s’interroger sur les conditions d’extraction et de raffinage de ces métaux rares dans le cadre d’une transition « verte », qui, en l’état, relève plus d’une vaste entreprise de greenwashing que d’un véritable changement de paradigme environnemental.
Sources:
Pitron, G. (2018), La guerre des métaux rares, Edition Les Liens qui libèrent
Alliance Ancre (2015), Ressources minérales et énergie
Bihouix P., de Guillebon B. (2010), Quel futur pour les métaux ?, EDP Sciences
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