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Collapsologie 2: La crise énergétique

  • lookense3
  • 28 janv. 2021
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 28 janv. 2021

Dans un précédent article, nous avions introduit la notion d’effondrement et la discipline qui y était rattachée, la collapsologie. Cette discipline part du constat que l’impact croissant (et même exponentiel) de l’homme sur son environnement est insoutenable et est en mesure de mettre en péril l’avenir du système-terre et de l’humanité tels que nous les connaissons. La Terre et les ressources qui en sont issues ne sont en effet pas extensibles à l’infini. De ce constat débouche l’existence de limites physique, infranchissables, intangibles et non-négociable (sur la consommation des ressources fossiles non-renouvelables ou la quantité d’énergie disponible par exemple) et de frontières franchissables qui peuvent être dépassé à nos risques et périls (les seuils de renouvellement des nappes phréatiques ou des réserves de poissons). Dans cet article, nous nous intéressons tout d’abord à ces limites infranchissables.


Figure 1 : évolution de quelques indicateurs socio-économiques et terrestres depuis 1750. Source : W. Steffen et al., The Trajectory of the Anthropocene : The Great Acceleration


L’opulence croissante de nos sociétés (principalement occidentales, aujourd’hui suivies par celles des pays émergents) depuis le début de la révolution industrielle a été permise par l’accès à une énergie bon marché et abondante, le charbon d’abord et le pétrole ensuite. Cette énergie a permis de mettre en mouvement un nombre toujours croissant de machines, augmentant dans des proportions ahurissantes la productivité de l’agriculture et de l’industrie. De cette productivité décuplée découle les grandes mutations sociales et technologiques des deux siècles passés : la consommation de masse (plus de biens produits à des coûts toujours plus faibles), la mondialisation (grâce au transport aisé de marchandises par camion et porte-conteneurs), la tertiarisation de l’économie et l’urbanisation (besoin moindre de manœuvre dans les champs), les congés payés, la sécurité sociale, le transport aérien et le tourisme de masse, les télécommunications, l’amélioration des systèmes de santé ... En bref, l’ « énergie facile » a permis d’assurer la subsistance d’une partie de l’humanité, qui, délivrée des travaux manuels reposant sur leur seule force physique (ou éventuellement celle d’animaux), a pu se concentrer sur d’autres occupations moins vitales pour sa survie directe. D’où la croissance exponentielle des indicateurs socio-économiques de la figure 1 (à gauche en orange).


Tout indique toutefois que cette ère de l’énergie à profusion touche à sa fin. En effet, la production de pétrole est condamnée à atteindre un « pic », c’est-à-dire un maximum de production sur une année, suivi d’un inexorable déclin (pour plus de précisions sur le pic pétrolier, voir notre article du 20 novembre 2020). Or, comme l’explique l’ingénieur Jean-Marc Jancovici dans son article A quoi nous sert ce fameux pétrole, le pétrole est l’élément vital de la civilisation industrielle. Sans lui, pas de transports à grande échelle sur les mers, la terre ou dans les airs et pas de tracteurs dans les champs. Le pétrole nous est tellement indispensable que la bonne santé de l’économie en dépend. Ainsi, Jean-Marc Jancovici démontre dans un autre article, Le prix du pétrole gouverne-t-il l’économie, que consommation de pétrole et PIB sont étroitement liés et donc que l’inévitable décrue de la production pétrolière entraînera un tout aussi inévitable déclin du PIB ; en d’autres termes, la décroissance (voir figure 2).


Cette décroissance risque fort de ne pas être graduelle jusqu’à un retour dans des zones d’activité économique soutenable. En effet, le système économique actuel repose entièrement sur la dette : l’activité économique est financée par de la dette, qui doit supposément être remboursée plus tard, plus des intérêts. De ce fait, la pérennité de ce système est basée sur la capacité à payer ces intérêts, grâce à la création perpétuelle de richesses supplémentaires (et en quantité toujours croissante), c’est-à-dire grâce à de la croissance économique, pourtant impossible dans un contexte de décrue énergétique. Les conséquences d’un effondrement de ce « système-dette » ont un air de déjà-vu. Dans son livre Illusion financière, l’économiste Gaël Giraud démontre que l’incapacité d’une partie des ménages américains à rembourser leurs crédits immobiliers a entraîné la crise des « subprimes » de 2007, qui s’est vite transformée en crise économique mondiale en 2008 par effet de contagion.


Figure 2 : lien entre la variation de PIB (en bleu) et la la variation de la consommation mondiale de pétrole (en rouge), moyenne glissante sur trois ans. Source : jancovici.com


Pour faire perdurer ce système basé sur la croissance (et donc in fine sur une consommation croissante d’énergie), il serait tentant de vouloir simplement substituer le pétrole - qui ne représente finalement qu’un tiers de la consommation mondiale d’énergie primaire - par d’autres sources d’énergie, renouvelables si possible. Un tel scénario est toutefois largement chimérique.


Premièrement, le pétrole est la source d’énergie la plus pratique. D’une part, sa forme liquide permet un transport aisé entre les lieux de production et de consommation parfois très éloignés, ce qui n’est pas le cas du gaz par exemple. Par exemple, d’après l’INSEE, 33 % du pétrole importé en France provient d’Afrique, 21 % du Moyen-Orient. D’autre part, le pétrole s’avère être énergétiquement très dense, c’est-à-dire qu’une petite quantité de pétrole contient une quantité importante d’énergie. A titre de comparaison, le pouvoir calorifique d’une tonne de pétrole est de 11630 kWh, ce qui correspond au pouvoir calorifique de 3,2 tonnes de bois, de 1162m3 de gaz naturel ou encore à la production annuelle de 8 à 9 m² de panneaux solaires en France. Aucune autre source d’énergie n’est donc aussi pratique que le pétrole.


Deuxièmement, toutes les sources d’énergie dépendent d’une manière ou d’une autre du pétrole pour fonctionner. Par exemple, le combustible des centrales nucléaires doit être transporté de la zone d’extraction jusqu’aux centrales, les panneaux solaires et éoliennes doivent être transportés de leur lieux de production (majoritairement en Asie) jusqu’au lieu d’installation et les travailleurs de toutes ces installations se déplacent majoritairement en voiture à essence. Se passer du pétrole nécessiterait donc l’électrification de tous ses usages. Or pour l’heure, seule 19,5 % de la consommation finale d’énergie dans le monde se fait sous forme électrique et 100 % du trafic maritime et aérien et 98 % du transport terrestre fonctionne au pétrole.


Figure 3 : “la falaise énergétique”. En abscisse se trouve le TRE et en ordonnées le pourcentage d’énergie utilisable correspondant. Les accolades situent différentes sources d’énergie. Source : Energy, EROI and quality of life


Enfin, le TRE (Taux de Retour Énergétique) des énergies renouvelables est sans doute insuffisant pour satisfaire à nos besoins en énergie. Cette notion de TRE permet de

caractériser le surplus d’énergie apporté par une source d’énergie. Un TRE de 1:1 signifie qu’une unité d’énergie investie en rapporte une : autrement dit, le gain d’énergie net est nul. Aux débuts de la production de pétrole, le TRE était de 100:1 : un baril de pétrole investi en ramenait 100. Aujourd’hui, ce TRE a diminué pour atteindre une valeur de l’ordre de 10:1 à 20:1, car les champs pétrolifères les plus accessibles (et donc exploités en premier) se sont taris. Seuls subsistent aujourd’hui des sources de pétrole plus difficilement accessibles (le pétrole off-shore ou dans des zones arctiques par exemple) et donc requérant plus d’énergie pour en extraire le pétrole. Quant aux énergies renouvelables, leur TRE est bien plus faible. Dans un papier publié par D. Weißbach et son équipe, celui-ci s’établit à 3,8:1 pour le photovoltaïque et 4:1 pour l’éolien, en prenant en compte la nécessité d’y adosser un système de stockage pour pallier leur intermittence. C’est ce qui fait dire à C.A.S Hall, chercheur dans le domaine de l’énergie, que « toute transition vers les énergies solaires nécessiterait des investissements massifs dans les énergies fossiles. Malgré toutes les affirmations du contraire -des défenseurs du pétrole et du gaz d’un côté et des partisans du solaire de l’autre- nous ne voyons aucune solution facile à ces problèmes si l’on prend en compte le TRE ».


Cette notion de TRE a un sens bien plus profond qu’un indicateur purement technique. Il caractérise en effet le surplus d’énergie accessible à notre civilisation. Or c’est ce surplus d’énergie qui définit les activités qu’une civilisation peut entreprendre. Avec un TRE de l’ordre de 2 ou 3:1, une civilisation ne peut satisfaire que ses besoin primaires, c’est-à-dire grosso modo se nourrir, se vêtir et se chauffer. En augmentant, le TRE global permet l’accès à d’autres activités moins directement nécessaires : l’éducation, la défense, la santé. Enfin, un TRE encore plus élevé permet à une civilisation de généraliser le divertissement pour tous (cinéma, tourisme, sport …) ou d’entreprendre des projets pharaoniques (envoyer des hommes dans l’espace ou construire des monuments). Dans son livre L’Effondrement des sociétés complexes, Joseph Tainter explique que la baisse soudaine du TRE est un des facteurs à l’origine de la chute de l’Empire Romain. J.G Lambert et son équipe ont quant à eux estimé que le TRE minimum pour pouvoir faire perdurer la situation actuelle est de l’ordre de 12:1. S’aventurer en-dessous nécessiterait donc d’abandonner quelques attributs de notre mode de vie dispendieux. Dans la mesure où le TRE des énergies renouvelables se situe bien en-dessous de cette limite, que le TRE du pétrole est condamné à diminuer et que le recours au charbon et au gaz, aux réserves certes plus importantes, serait un non-sens environnemental (voir dans le prochain article), c’est pourtant ce qui nous attend dans un futur relativement proche : le bord de la falaise « énergétique » (voir figure 3) se rapproche donc inéluctablement.


Pour conclure, il est donc correct de parler de « crise énergétique ». La quantité d’énergie disponible n’est pas réduite : après tout, l’énergie solaire qui atteint la surface de l’atmosphère chaque année correspond à 10000 fois les besoins énergétiques annuels de l’humanité toute entière. Toutefois, la qualité de l’énergie décroît significativement : à mesure que les sources d’énergie les plus accessibles et les plus dense énergétiquement s’épuisent, il faut consacrer de plus en plus d’efforts, d’infrastructures, de recherches, … pour obtenir la même quantité d’énergie. C’est le syndrome de la Reine rouge, dont le nom est issu du 2e volet des Aventures d’Alice au pays des merveilles, dans lequel la Reine rouge dit à Alice : «Ici, vous voyez, il faut courir le plus vite possible pour rester au même endroit.»


Sources :


Joseph Tainter, L’effondrement des sociétés complexes

Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer (et toutes les références citées dans le livre)

W. Steffen et al., The Trajectory of the Anthropocene : The Great Acceleration

D. Weißbach et al., What is the minimum EROEI a sustainable society must have ?

J.G. Lambert et al., Energy, EROI and quality of life

Jean-Marc Jancovici, A quoi nous sert ce fameux pétrole ? et Le prix du pétrole gouverne-t-il l’économie ?

Gaël Giraud, Illusion financière

 
 
 

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