Collapsologie 1 : de quoi parle-t-on ?
- lookense3
- 15 janv. 2021
- 4 min de lecture
La collapsologie (du latin collapsus, s’effondrer d’un seul bloc) est une discipline nouvelle, popularisée en France par le chercheur Pablo Servigne et l’ancien ministre de l’Ecologie Yves Cochet entre autres. Son objectif est l’étude scientifique des causes et conséquences d’un effondrement de la civilisation humaine dans un futur plus ou moins proche. Ce terme d’ « effondrement » est souvent compris comme la traduction dans les faits de scénarios-catastrophe déjà largement abordés par la culture. Notre imaginaire collectif a en effet été largement influencé par les religions chrétiennes et leurs représentations de l’Apocalypse, ainsi que, plus récemment, par le cinéma hollywoodien, qui nous présente volontiers la fin de l’humanité dans des conditions cataclysmiques. Il n’est toutefois pas question ici de fin des temps : les fondements de la collapsologie sont plus rationnels. L’étude de l’effondrement part du constat que l’humanité est confronté à un ensemble de crises de nature diverses qui pourraient largement compromettre la survie de l’espèce humaine sous sa forme actuelle, souvent qualifiée sous le terme de « civilisation thermo-industrielle ». De ce fait, l’ « effondrement » ne doit pas non plus être compris comme une crise passagère (de nature militaire, économique ou financière) pouvant aisément être surmontée. D’autre part, le terme d’« effondrement » au singulier est lui aussi impropre, car il semble faire référence à un événement marqué dans le temps, une sorte de frontière entre un « avant » et un « après » qui se déroulerait en l’espace de quelques heures ou jour. En réalité, il serait plus juste de parler d’« effondrements » au pluriel dans la mesure où ce terme préfigure une multitude de crises concomitantes et interpénétrées. Yves Cochet donne ainsi une définition de l’effondrement qui fait consensus : « L’effondrement est le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, …) ne sont plus fournis (à un coût raisonnable) à une majorité de la population par des services encadrés par la loi ».
Pour le profane, cette vision du futur peut sembler totalement invraisemblable. Nous avons été en effet été habitué (par la science-fiction, mais également par les idéologies politiques et les discours publicitaire) à une vision progressiste de l’existence humaine : les innovations technologiques succèdent aux innovations technologiques, les voitures volantes succéderont aux voitures terrestres qui elles-mêmes ont un jour pris la place des voitures hippomobiles, l’homme mettra le pied sur Mars après avoir foulé la Lune et plus tôt le Nouveau Monde, … Tout ira mieux demain, parce que le progrès technologique y pourvoira. Cette vision du futur est donc remise en cause par un effondrement généralisé prédit par la collapsologie, qui s’appuie pour cela sur des disciplines transverses : économie, climatologie, sciences humaines, physique, philosophie … L’objectif de cet article est donc de comprendre et détailler les tenants et aboutissants de cet effondrement (ou plutôt de ces effondrements) à venir à la lumière des enseignements prodigués par la collapsologie.
A la base de la collapsologie se situe un ensemble de graphes, publiés par le chimiste Will Steffen et son équipe dans un papier éloquemment dénommé The trajectory of the Anthropocene: The Great Acceleration (Trajectoire de l’Anthropocène : la grande accélération). Ces graphes permettent de comprendre l’évolution du monde depuis le début de l’ère industrielle à travers une série d’indicateurs socio-économiques et relatifs à l’état de la planète. Le constat est sans appel : toutes les valeurs étudiées ont crû de manière exponentielle depuis 1750 (début de l’étude) et, à plus forte raison, depuis la moitié du XXe siècle (voir figure ci-dessous). Le PIB est ainsi 25 fois plus élevé aujourd’hui qu’en 1914, la consommation d’énergie primaire quasiment 6 fois plus élevée, la population est passée de 2 milliards de personnes en 1930 à plus de 7 milliards aujourd’hui, … Cette croissance galopante a plusieurs explications (que nous détaillerons dans des futurs articles). Une question se pose néanmoins : ces tendances sont-elles soutenables ? La réponse est quasi-assurément non. Dans leur livre Comment tout peut s’effondrer, Pablo Servigne et Raphaël Stevens séparent les causes de cette non-soutenabilité en deux catégories : les limites infranchissables d’une part, et les frontières franchissables d’autre part. Ces premières font référence à des limites purement physiques, avec lesquelles il est impossible de s’accommoder. Il est évident par exemple qu’il est impossible de consommer plus de ressources non-renouvelables à l’échelle humaine qu’il en est initialement présent sur Terre : le jour où les réserves de minerais ou de pétrole seront épuisées, elles le seront pour les millions d’années à venir. Au contraire, les frontières sont vagues, largement indéfinies et il est aisé de les franchir sans que des effets immédiats se fassent ressentir. Par exemple, les écosystèmes tels que les forêts sont capables de recycler une partie de la pollution qu’ils absorbent jusqu’à un certain point, à partir duquel ils comment à se dégrader et perdent leur capacité de puits de pollution.
Dans des articles à venir, nous analyserons l’influence de ces limites et frontières sur l’avenir de l’humanité et verrons en quoi elles nourrissent la théorie de l’effondrement.

Figure 1 : évolution de quelques indicateurs socio-économiques et terrestres depuis 1750
Sources :
Will Steffen et al., The trajectory of the Anthropocene: The Great Acceleration
Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer (et toutes les références citées dans le livre)
Yves Cochet, Comment tout va s’effondrer
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